La révolte des Gilets Jaunes par les urnes
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Par A.Morin
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La protestation des “Gilets Jaunes” est symptomatique de la défiance de l’électorat français à l’égard de ses représentants. Née de la rue, la contestation grandit et cherche désormais à se renouveler en acquérant son entière légitimité démocratique. Tantôt encensées par les plus modérés et discréditées par les radicaux, des figures citoyennes émergent dans le paysage politique et font le pari d’une révolte par la voie des urnes, au risque de transfigurer un mouvement qui se targue d’être apolitique.
L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République le 7 mai 2017 fut un véritable séisme, transformant en profondeur le paysage politique français. Les partis traditionnels ayant périclité; l’heure était donc venue pour le politique de sortir de l’immobilisme. Fort de son élection, le nouveau Président tente de dépoussiérer les institutions en mettant en lumière de nouveaux visages au sein du gouvernement et de sa majorité à l’Assemblée Nationale. Pourtant, le style “Macron” caractérisé par une pratique jupitérienne du pouvoir dérange. Le rythme effréné des réformes aura raison de l’adhésion du peuple français et constitue le terreau de l’actuelle contestation des “Gilets Jaunes”.
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Paradoxalement, si le coeur névralgique de leurs revendications reste la contestation de la légitimité des élus, tout un pan du mouvement tend à se politiser. En effet, Ingrid Levavasseur, médiatique aide-soignante de 31 ans, a pris l’initiative de proposer une liste aux élections européennes de 2019. Le Ralliement d’Initiative Citoyenne (RIC) serait pour l’heure crédité de 13% des intentions de vote, siphonnant les voix du Rassemblement National (Elabe, “l’opinion en direct” pour BFMTV, 24 janvier 2019). "​Le but n'est pas d'aller à Bruxelles pour y aller, mais d'intégrer la politique en général, intégrer le système​" a-t-elle expliqué. Une plateforme a d’ailleurs été ouverte pour permettre aux citoyens de soumettre leurs revendications dont ils se proposent d’être les portes-paroles au Parlement Européen.
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Certaines figures des débuts de la contestation ont pour leur part fait le choix d’aller plus loin en proposant des solutions partisanes. "​On veut offrir une nouvelle offre politique à la France, avec du coeur et de l'empathie”​ explique Jacline Mouraud, créatrice du parti “Les Emergents”. “​Après la contestation, il faut passer à la phase 2 du mouvement, celle des propositions. On va participer au Grand débat. Le pays étouffe, on va lui donner de l'air​”
poursuit-elle. Le nouveau parti précise qu’il ne participera pas aux élections européennes, mais sûrement aux élections municipales. Nul doute que les prochaines échéances électorales de 2019 et 2020 mettront en exergue des solutions apportées en réponse à la crise actuelle des “Gilets Jaunes”.
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L’essence du mouvement remise en cause
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Dans son ouvrage “​Empire”​, le philosophe italien Antonio Negri élabore le concept de “​multitude” ​qui caractérise les contestations sociales se déroulant un peu partout en Europe. De fait, le caractère transpartisan du mouvement français semble exclure la création d’un parti réellement fédérateur. L’idée d’une mobilisation politique a en effet provoqué des émules dans les rangs des manifestants; en particulier sur les réseaux sociaux. Les uns veulent changer les choses par la force de la rue, les autres souhaitent une révolte citoyenne et démocratique. Le divorce est donc consommé entre les plus radicaux et les modérés.
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Accusés de s’accaparer les revendications à des fins personnelles, les mouvements politiques peinent à trouver leurs soutiens dans un climat de scepticisme ambiant. ​«Les européennes, c’est rester dans le système actuel, rentrer dans un jeu dans lequel nous ne faisons pas les règles, déclare sur sa page Facebook l’un des leaders du mouvement Maxime Nicole​. Ne croyez pas qu’en passant par des élections, vous arriverez à changer quoi que ce soit. Parce que si c’était le cas, ça ferait longtemps qu’on aurait changé les choses.» ​Même chez les plus modérés, la proposition laisse perplexe. “​Les Gilets Jaunes aux européennes, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée” ​confie Benjamin Cauchy, porte-parole des “Gilets Jaunes Libres”.
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Une liste gilets jaunes aux européennes ?
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Les figures du mouvement prêtes à renouer avec la sphère politique sont systématiquement excommuniées. Les nombreuses menaces de leurs détracteurs ont d’ailleurs été à l’origine de plusieurs défections au sein de la liste conduite par Ingrid Levavasseur, notamment celles de son directeur de campagne Hayl Shannyan et de Marc Doyer accusé d’avoir soutenu la candidature du Président Emmanuel Macron en 2017.
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Lorsque sur son groupe Facebook Eric Drouet, autre figure du mouvement, interroge sur l’éventualité d’une liste “Gilets Jaunes” aux européennes, la réponse est sans appel: 98 % des 19 000 votants y sont opposés. Ce dernier a d’ailleurs émis un communiqué au terme duquel il met en garde: voter pour une telle liste aux européennes revient à voter pour la République En Marche. Le chroniqueur Christophe Barbier (BFMTV) estime que les sondages favorables au parti présidentiel s’expliquent par le fait que les propositions du chef de l’Etat ont satisfait la frange modérée du mouvement. “​Si une liste ‘gilets jaunes’ est capable de mener la campagne dans la durée il (Emmanuel Macron) aura divisé et quand on divise on règne” précise-t-il. Malgré le souhait de certains citoyens d’apporter une réponse politique appropriée et concrète aux réclamations, les divergences idéologiques propres à ce type de mouvement laissent peu de chance à un réel engouement de l’électorat. Cette initiative, bien que novatrice, risque par conséquent de rester lettre morte.
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