Internet a t-il vraiment tué l’amour ?
Par A. BOUCHER
Un baiser voilé. René Magritte, Les Amants I, 1928.
A l’époque consumériste, tout se vend, tout s’achète, y compris les services de conception de relation. Quand nos grands-parents se rencontraient le plus souvent dans la fête du village, ou nos parents sur leur lieu de travail, désormais, aujourd’hui où s’accostent les jeunes ?
Quoi qu’il advienne, à l’heure du numérique l’abondance des sites et des applications de rencontre proposés aux utilisateurs, permet de croire à leur influence dans la conception des relations, et sur leur sexualité. A chaque ère, son érotisme.
Histoire et lieux de rencontre
Directement importés des Etats-Unis, les sites de rencontres voient le jour en France avec NetClub.fr, qui apparaît en 1997 suivi de amoureux.com l’année suivante. Celles-ci sont les parents des 1 045 sites recensés selon une étude de 2008. En 2019, ce chiffre aurait doublé selon un sondage BVA pour un quotidien régional Français. Un chiffre (environ 2 000) qui témoigne de leur succès.
Un enquête Ined de 2013 montre que parmi les personnes (26-65 ans) qui ont rencontrées leur conjoint entre 2005 et 2013, 9% l’ont connu via un site spécialisé.
Un taux qui se trouve à la 5ème position dans la sphère des espaces de rencontre juste après le domicile (9%), les lieux publics (13%), les soirées entre amis (15%) et les lieux d’études ou de travail (24%). Le virtuel est devenu un lieu de rencontre comme les autres.
Devant une telle offre de probables partenaires « les utilisateurs seraient poussés à avoir une attitude consumériste, et à constamment essayer de chercher mieux au lieu de fonder une relation » raconte Marie Bergström, chargée de recherche à l’Institut national d’études démographiques.
Mais déjà à la fin du XIXème siècle, dans les journaux, des petites annonces ouvertes aux célibataires à la recherche d’un partenaire faisaient jaser les commentateurs de l’époque qui voyaient en celles-ci un commerce lucratif du mariage.
Un marché économique prospère
Si la crise financière affecte certains marchés, celui des services de rencontre est croissant. A l’image d’InterActiv Corp (IAC) qui détient Match, qui lui-même détient Meetic et Tinder. La filiale Match affiche un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros, dont une augmentation de 38% par rapport à l’année précédente.
Médiamétrie a publié un baromètre de l’économie numérique montrant qu’un peu moins d’un français sur trois déclare avoir été ou être inscrit sur un site de rencontre sur internet.
Un effet miroir car plus il y a d’inscrits plus l’offre grandit, et inversement. L’offre s’adapte et cible les utilisateurs, à l’image de site de rencontre comme Gay droite rencontre, Gay gauche rencontre, Jewish Match, AmourMaghreb, Amours bio etc.
Similitude et division
On pourrait penser que les rencontres sur le Web modifient les pratiques eu égard à celles conçues ailleurs, seulement, elles sont égales, les principes de formation de couple sont les mêmes. En effet, on observe chez les utilisateurs l’envie, inconsciente ou non, de s’installer avec quelqu’un du même statut social.
Les médias parlent souvent du numérique pour en démontrer tous les mauvais aspects, il n’y a qu’à taper “Internet a t-il tué l’amour ?” ou “les sites de rencontres ont-ils tué les sentiments amoureux ?” (Mouv, AgoraVox, Marie Claire, Les Inrocks, Madame le Figaro) pour vous dire qu’avec Internet “l’authenticité n’a pas sa place” (Elle). Sauf que, malgré la critique du numérique, les jeunes voient toujours dans le couple un idéal de vie.
L’amour n’est donc pas mort, les parcours sont justes différents.
Le changement se fait plutôt au niveau de la sexualité, cachés derrière leur ordinateur ou smartphone, les utilisateurs se sentent sûrement plus à l’aise, la discussion dévie alors plus rapidement de manière érotique. Relation discrète, relation parfaite, cette typologie de formation de relation se fait loin du contrôle social, dont celui parental par exemple. L’affaiblissement de la surveillance parentale, en 1930, 21% de personnes se mettent avec leur voisin, en 1960 ils sont 4%.
C’est ici qu’il y a une scission, la sexualité est maintenant individualisée. On est seul dans son choix, on est « autonome » du Grecque Antique : auto nomos, 'la loi que l’on se donne à soi-même' et non celle dictée par notre entourage.
Et ce processus d’individualisation dure depuis plus d’un siècle, selon Michel Bozon et Wilfried Rault (dans L’espace des rencontres amoureuses pendant la jeunesse) « les pratiques de sociabilité ont vu les bals d’antan se diriger vers les soirées privées ». Pour se retrouver, généralisons, sur les smartphones en totale discrétion.