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Par Caroline URSENBACH

Depuis le 1er janvier 2019, le nombre de féminicide en France s'élève à 114. Afin de lutter contre la banalisation de ces crimes, souvent qualifiés de passionnels, les familles des victimes et des associations militent pour faire consacrer le terme féminicide dans le Code pénal. Mais pour les juristes, cette introduction pose un certain nombre de problèmes. 

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Le terme féminicide apparaît pour la première fois en 1992 dans l’ouvrage de Jill Radford et Diana E. H. Russek :  Femicide, The Politics of Woman Killing. En France, ce n’est qu’en 2015 qu’il fait son apparition dans le dictionnaire Le Petit Robert. Charlotte Claverie-Rousset, professeur de droit privé et de sciences criminelles à l’Université de Bordeaux, définit le féminicide comme étant « le meurtre commis sur une femme parce qu’elle appartient au sexe féminin et que ce sexe est, dans l’esprit de l’auteur, associé à diverses tares. C’est donc un crime poursuivant un mobile discriminatoire, plus spécifiquement un mobile sexiste, le sexe féminin étant considéré comme inférieur au sexe masculin ». 

 

Une considération juridique existante  

 

Bien que le terme féminicide se soit développé dans le langage courant et dans les médias, sa reconnaissance juridique en France mais plus largement en Europe, peine à être consacrée. Contrairement aux pays d’Amérique latine où a été adopté le premier texte contraignant concernant les violences contre les femmes en 1994 : la convention de Belém do Para. De plus, depuis 2007, dix-huit pays tels que le Mexique, le Costa Rica, le Chili ou la Guyane ont introduit le terme féminicide dans leur Code pénal. 

Pour autant, C. Claverie-Rousset estime qu’« on ne peut pas affirmer que le féminicide n’est pas pris en compte de manière spécifique par notre droit pénal ». Depuis 2017 le sexisme est devenu une circonstance aggravante au même titre que le racisme ou l’homophobie. « Si on admet que le féminicide est le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme alors cela signifie que le mobile du meurtre est sexiste. Il relève donc bien de l’article 132-77 du Code pénal (créé par la loi du 27 janvier 2017)». Elle souligne de plus que « si l’on retient cette circonstance aggravante de l’article 132-77, le meurtre sexiste est puni de la réclusion criminelle à perpétuité, là où le meurtre non sexiste n’est puni que de 30 ans de réclusion criminelle ». Le crime sexiste est donc puni plus sévèrement que celui non sexiste. C. Claverie-Rousset ajoute que « les articles 221-4 9° et 132-80 du Code pénal prévoient la même peine de réclusion criminelle à perpétuité lorsque le meurtre est commis par le conjoint, concubin, partenaire de PACS, ancien conjoint, ancien concubin ou ancien partenaire de PACS ». Pour elle, « les différents cas de féminicide me semblent déjà bien appréhendés par le Code pénal puisqu’ils sont punis plus sévèrement que les autres cas de meurtre ». Consacrer le terme féminicide dans la loi pénale française ne serait pas utile puisqu’il est déjà puni et pris en compte. 

 

“Il est donc nécessaire d’agir dans toutes les sphères”

 

Lydie Delmas s’occupe de la Maison des femmes de Bordeaux, une association d’aide et d’écoute pour toutes les femmes mais aussi militant pour le droit des femmes. Selon elle, l’intérêt d’intégrer le féminicide dans la loi pénale est multiple : « cela reconnaîtrait que le meurtre ne s’est pas produit lors d’un accident, qu’il y a un continuum des violences envers les femmes, le droit gagné (la reconnaissance sociale de l’existence des féminicides) deviendrait réel et affirmerait que la lutte contre les violences faites aux femmes passe par l’usage des mots ».  Reconnaître juridiquement le féminicide permettrait de conférer une réalité sociale et juridique aux victimes de ces violences. 

Mais cette reconnaissance pose des problèmes juridiques notamment au regard de l’universalisme du droit et de l’égalité de tous devant la loi pénale. C. Claverie-Rousset explique que « le principe d’égalité devant la loi pénale est un principe à valeur constitutionnelle auquel une loi ne pourrait pas faire exception. De manière générale, le principe d’égalité impose de traiter de manière égale les personnes qui sont dans une situation identique ». Consacrer le féminicide supposerait alors de punir plus sévèrement le meurtre d’une femme parce que c’est une femme que celui d’un homme parce que c’est un homme. En mai 2016, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a rendu un rapport dans lequel elle estime qu’il n’était « pas opportun de conférer un caractère juridique » au féminicide. Mais elle recommande « l’usage du terme à la fois sur la scène internationale dans le langage diplomatique français, mais aussi dans le vocabulaire courant, en particulier dans les médias ».

 

La reconnaissance juridique du féminicide suscite de nombreux débats juridiques et sociaux. Mais sa consécration serait un symbole pour la lutte des droits des femmes. Pour L. Delmas, « une lutte efficace contre les féminicides  passe par une lutte contre toutes les violences faites aux femmes dans l’ensemble des sphères de la vie. Il est donc nécessaire d’agir dans toutes les sphères par des actions de sensibilisation et formation au respect de la dignité des filles, des femmes ».


Note : l’avis de C. Claverie-Roussset est personnel et n’engage pas l’Université de Bordeaux.

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C. URSENBACH

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