Affaire Benalla : Rapport accablant pour l'Elysée
A.Morin​
Le 20 février 2018, la commission d’enquête du Sénat dévoile un rapport accablant pour Alexandre Benalla et pointe les “​dysfonctionnements majeurs​” de l’Elysée. Appelant de leurs voeux davantage de transparence au sommet de l’Etat, les sénateurs sont accusés par l’exécutif de porter gravement atteinte principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.
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Après 6 mois d’investigations intensives et pas moins de 34 auditions, la commission parlementaire crée le 23 juillet 2018 pour enquêter sur la très médiatique “affaire Benalla” publie enfin un rapport pour le moins explosif. Au delà de l’homme, c’est une institution qui est accusée, et pas n’importe laquelle : la Présidence de la République. Pour la haute assemblée, la gestion de l’affaire par l’Elysée a été “â€‹calamiteuse” ​et doit s’analyser comme une véritable faillite de l’appareil d’Etat.
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Le président de la commission d’enquête Philippe BAS (Sénateur LR de la Manche) n’a jamais caché ses interrogations sur : “​la place tout à fait excessive prise par un collaborateur du président de la République de rang pourtant modeste et dénué d’expérience de l’Etat, dans la mise en oeuvre de la sécurité du chef de l’Etat”. ​L’Elysée n’est pas parvenu à contenir les débordements d’Alexandre Benalla dont la fonction au sommet de l’Etat demeure obscure. Aucun des témoignages des proches collaborateurs du président n’aura d’ailleurs permis de lever les zones d’ombre planant sur les importantes prérogatives de ce collaborateur si particulier.
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Pour autant, le rapport dénonce le fait qu’Alexandre Benalla se soit attribué un rôle central dans protection rapprochée du président Emmanuel MACRON, sans que ne survienne une quelconque opposition de sa hiérarchie. Cette proximité avec le chef de l’Etat fait craindre l’existence de conflits d’intérêts majeurs. En effet, le journal “Médiapart” a révélé le 17 décembre dernier qu’Alexandre Benalla encore en fonction, a participé à de mystérieuses négociations de contrats passés entre la société de Vincent Crase et un oligarque russe du nom d’Iskander Makhmudov. Pour les sénateurs, l’existence de ces relations n’est pas anodine car elles “​seraient de nature, en raison de la dépendance financière qu’elles impliquent, à affecter la sécurité du chef de l’Etat et au-delà, les intérêts de notre pays”.
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Le rapport sénatorial accuse l’exécutif d’un manque cruel de réactivité dans cette affaire en énonçant que “​les informations recueillies au cours des auditions remettent en cause la portée réelle des sanctions prononcées”.I​l semble évident que l’Elysée n'a pas su saisir l’importance de ce scandale politique, que l’opposition se plaît à présenter comme une affaire d’Etat symptomatique des carences de la Ve République. Un véhicule équipé de gyrophares, un téléphone crypté, un appartement de fonction attribué après sa rétrogradation, des passeports diplomatiques, une accréditation “secret-défense”, un badge d’accès à l’assemblée nationale... Nul doute qu’Alexandre Benalla bénéficiait de passe-droits difficiles à justifier après son licenciement. Le Sénat accuse par ailleurs l’Elysée et le Ministère des affaires étrangères de n’être intervenus que sous la pression des révélations médiatiques.
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Les propositions des sénateurs pour une présidence transparente
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Le rapport publié par la commission d’enquête soumet 4 axes de propositions pour tirer les conséquences de cette défaillance majeure de l’appareil étatique. Le premier tend à “â€‹garantir un haut niveau de sécurité du président de la République”e​n encadrant davantage le recrutement du personnel affecté à la sécurité. Celle-ci serait exclusivement confiée au Groupe de Sécurité de la Présidence de la République (GSPR) et placée sous le contrôle du ministre de l’intérieur. Le deuxième axe souligne la nécessité de “​renforcer la transparence dans le fonctionnement de l’exécutif” ​en développant un cadre déontologique contraignant pour les collaborateurs présidentiels.
Le rapport préconise également de mettre un terme à l’existence ​controversée des “​collaborateurs officieux”​ travaillant concomitamment pour le premier ministre et le président de la République. Dans un troisième axe, les sénateurs souhaitent aussi accroître les pouvoirs de contrôle du parlement et ainsi enrayer l’affaiblissement chronique de l’organe législatif. Le renforcement des pouvoirs des commissions d’enquêtes parlementaires serait selon eux le meilleur moyen de développer une forme efficace de contre-pouvoir. Enfin, le rapport préconise de “​clarifier l’obligation de signalement d’un crime ou d’un délit” ​prévue par l’article 40 du code de procédure pénale et propose en ce sens de “​mieux définir la portée juridique des obligations de signalement au parquet”.
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La haute-chambre accusée d’ingérence par le gouvernement
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L’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires confère à l’organe législatif des pouvoirs d’enquête exceptionnels dans le respect du principe démocratique de séparation des pouvoirs. La rédaction du rapport d’enquête parlementaire dans cette affaire constitue un exercice complexe pour les sénateurs. En effet, il incombe à ces derniers d’exercer leur droit de regard sur le fonctionnement de l’exécutif dans le respect absolu des investigations judiciaires en cours mais aussi de l’autonomie de l’Elysée, siège de l’exécutif.
La Garde des Sceaux Nicole Belloubet est d’ailleurs montée au créneau en découvrant les recommandations du rapport, invoquant une atteinte manifeste à un principe au coeur de l’architecture républicaine. “​A l’issue de ce rapport, je constate que beaucoup d’entre-elles concernent l’organisation interne de l’Elysée, il me semble qu’on n’est pas complètement dans le respect de la séparation des pouvoir tel qu’il est prévu dans la Constitution (...). La justice est aujourd’hui saisie de plusieurs enquêtes ou informations judiciaires, concernant les événements de la Contrescarpe, concernant la protection de la vie privée, concernant les contrats russes” ​a t-elle déclaré. “​Laissons la justice agir, c’est son rôle, cela aussi relève de la séparation des pouvoirs”. Accusé d’être le fruit d’une récupération politique de la part de l’opposition, le travail de la commission d’enquête n’en est pas moins la preuve qu’un sursaut politique est possible de la part d’une institution parlementaire en déclin.
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