LA CONSECRATION DU PRINCIPE DE FRATERNITE: UNE RECONNAISSANCE PARADOXALE ?
par S. Gros
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Cet été n'aura pas été de tout repos pour le Conseil constitutionnel qui, au terme d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) , a reconnu le principe de fraternité comme ayant une valeur constitutionnelle. Aux yeux des juristes, c'est une avancée symbolique, la consécration d'une nouvelle liberté dite fondamentale. Afin de comprendre cette progression, il est indispensable de se reporter aux faits.
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Le 6 juillet dernier, Cédric Herrou, agriculteur, transporte des étrangers en situation irrégulière à la frontière franco-italienne. Il est condamné par la suite pour avoir commis, selon l'expression politique un « délit de solidarité » désignant les poursuites menées contre des personnes venant en aide à des étrangers en situation irrégulière. Dans sa décision, le Conseil Constitutionnel ne remet pas en cause l'entrée illégale des étrangers mais agrandit le champ d'exemptions pénales à l'égard de la circulation et du séjour des étrangers en situation irrégulière pour « tout autre acte apportée dans un but humanitaire ».
Il se fonde sur le Préambule, et un élément pilier de la devise républicaine consacrée à l'article 2 de la Constitution de 1958 afin de reconnaître le principe de fraternité. C'est donc une victoire pour le militant représentant désormais un symbole de défense, puis un assouplissement des conditions au délit de solidarité qui est en toujours en vigueur en revanche.
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Le Conseil censure partiellement l'article L622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers, considérant qu’une mauvaise conciliation a été opérée par le législateur entre le principe de fraternité et la lutte contre l'immigration irrégulière (ndlr: qui participe à la sauvegarde de l'ordre public, principe reconnu comme objectif ayant valeur constitutionnelle). Ce dernier est donc appelé à reconsidérer un équilibre correct entre ces deux éléments avant le premier décembre.
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Une première tentative s'est traduit par l'approbation du projet de loi Asile-immigration par le Parlement, le mercredi 1er août. Le délit de solidarité est alors atténué, la loi exonérant « toute personne physique ou morale lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et a consisté à fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux, ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire ». Ce qui signifie également que l'aide à l'entrée illégale est toujours réprimée.
Mais que représente réellement cette consécration ?
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Pierre Antoine Cazeau docteur en droit public et membre à l'observatoire girondin de la Ligue des droits de l'Homme nous délivre sa réflexion à l’Université de Bordeaux, considérant cette consécration comme « une avancée importante dans le cadre d'un phénomène de criminalisation des mouvements sociaux et humanitaires qui surgissent un peu partout. » Se révélant néanmoins sceptique face à la portée de ce principe, il déclare à cet effet que « le Conseil constitutionnel n'a pas voulu étendre trop ses effets, elle ne règle pas certaines situations notamment pour l'aide à l'entrée sur le territoire. »
On peut se poser certaines questions quant au véritable poids des valeurs républicaines au travers des enjeux économiques et politiques. La question des migrants étant source de tension, le président de la République Emmanuel Macron avait refusé au navire de l'Aquarius composé de réfugiés de débarquer à Marseille en juin dernier. La volonté de ne pas contribuer à un éventuel trafic d'être humains par les passeurs qui alimenterait un réseau participe aux raisons qui tendent au refus. Ce qui suscite le débat chez les foules. Pour Mathieu Delomier, ancien adhérent au parti des Républicains la solidarité est “inexistante” Il renchérit à cet égard “ On voit ce qu'il se passe avec les radeaux dans les mers du sud, les ghettos à Calais par les médias, on trouve cela honteux de les voir dans des conditions dramatiques. Les pouvoirs publics essaient de faire plaisir aux élus, aux commerçants, aux voisins de ces endroits et un peu aux migrants. Ils comptent beaucoup, peut-être trop sur les associations caritatives, qui elles, représentent la vraie solidarité face à l'immigration.”
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La France a finalement accueilli l'Aquarius qui débarquait au port de Marseilles le mardi 4 octobre, à la suite d'un accord entre l'Espagne, l'Allemagne et le Portugal répartissant les 58 réfugiés. Mais dans l'optique des futures élections européennes, les politiques doivent choisir entre l'image d'une certaine xénophobie ou d'une montée du populisme et du nationalisme.
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